Cette jeune afro-entrepreneure au talent multiple est propriétaire du label WAX PANTHER. Par ses créations elle décide de casser les codes et vulgariser aux yeux du monde la culture africaine.
Dans un entretien riche accordé à l’équipe du KFé, elle revient avec force et détails sur sa vision et ses projets.
D’entrée de jeu en quoi consiste réellement votre activité ?
Je suis créatrice, je crée des vêtements et accessoires de décoration en Wax. Je me définis donc comme créatrice parce que l’objet je ne le fais pas mais je le crée. Je l’imagine, je le pense, je le réfléchi et après je fais des patrons (représentation d’un vêtement fabriqué à partir d’une feuille de papier. NDLR), je confie à des personnes qui le font. Toutes mes inspirations viennent du pop art, de la culture africaine, et plus généralement de l’art, parce que cela m’a beaucoup construit, la littérature également. C’est toutes ces choses-là qui fusionnent en moi, et qui à la fin donne ce que je fais actuellement.
Alors, dans vos propos vous parlez sans cesse « d’inspiration », de « pop art », de « l’art », de « l’Afrique » et de « littérature », et nous avons le sentiment d’avoir en face de nous une femme aux multiples talents, et cela nous pousse à vous poser la question sur votre identité : Qui est vraiment Célestine FAYE ?
J’ai 31 ans, je suis sénégalaise. Et c’est important de le dire puisque, je ne suis pas française. Ca fait une dizaine d’années que je vis en France mais je n’ai jamais demandé la nationalité française. J’ai fait des études d’insertion socio-professionnelle, après quoi j’ai été conseillère en insertion socio-professionnelle. J’ai fait une étude de commerce, j’ai travaillé un peu dans le milieu des start-ups, et après je me suis posé la question : comment est-ce que moi en tant que personne je pourrai m’accomplir et être utile à la communauté africaine ! Et c’est de là qu’est né WAX PANTHER.
A vous entendre, on dirait que l’Afrique en général et le Sénégal en particulier ne vous ont jamais quitté ; Comment vous expliquez cet attachement à votre pays bien que vous soyez visiblement épanouie en Europe ?
Ca me vient de tout, de mon vécu, de mon espérance personnelle. J’ai grandi au Sénégal avec mes parents, j’ai eu une enfance très heureuse avec eux. Mon père était enseignant, il aimait beaucoup la littérature et il nous parlait régulièrement des écrivains français. Et moi la France me faisait rêver depuis mon enfance. Mais après je pense que c’est important d’être impliqué dans la communauté. C’est à dire se sentir française, travailler, faire des études et tout, mais en même temps garder ses racines africaines. C’est très important. D’ailleurs je lis souvent Senghor, Césaire, Damas, tous ces gens-là qui nous rappelle qu’il faut s’ouvrir ! Mais l’ouverture doit d’abord s’effectuer sur soi. C’est-à-dire puiser notre richesse culturelle, celle qui émane de là où on vient, pour faire monde avec les autres. C’est d’ailleurs ce que Senghor a appelé « enracinement et ouverture »
La dernière fois nous avons reçu Talia AMOUGOU une écrivaine au talent prometteur. Et nous constatons également que vous êtes intéressée par la littérature qui est une matière qui structure énormément l’être humain. Comment avez-vous cultivé cet amour pour la lecture ?
Je ne sais pas ! Déjà quand j’étais enfant, mon père me poussait énormément à lire, à me cultiver. Et après j’ai fait des études de sociologie, et je pense que quand on rencontre énormément de gens d’horizons différents, il faut beaucoup lire, se cultiver, et essayer de comprendre ces gens-là, d’où est-ce qu’ils viennent ? Comment ils sont arrivés où ils sont ? Et même par rapport à mon parcours personnel, il est important aussi de lire. Et Je lis un roman par semaine
Pour revenir à votre parcours personnel, vous êtes attirée par l’art qui est votre métier principal aujourd’hui, au point de lâcher votre formation en sociologie. Est ce qu’il n’y a pas une contradiction entre les deux disciplines ?
Ce n’est pas contradictoire en fait ! Faire de l’art ou de la mode et en même temps faire tout ce que j’ai fait. Tout est lié en fait ? Par exemple, Je prends appui sur la sociologie pour pouvoir faire ce travail de création que je fais aujourd’hui. Et d’ailleurs si vous observez mes créations, les vêtements ne sont pas lisses, carrés ou bien figés. Je fais beaucoup de recherches avant de créer les choses. Je pense que cela est plus frappant dans les accessoires de décoration que je crée. Récemment par exemple j’ai créé une poupée vodou parce que j’ai pensé à l’Afrique et à toutes les croyances mystiques qui s’y trouvent. Tout cela me fascine depuis que je suis enfant, et du coup j’avais fait des recherches sur ça parce que je voulais vraiment créer des poupées vodou en wax. Et je me suis rendu compte que ces croyances-là sont pareilles qu’en Corrèze en France. Ce qui est intéressant c’est de confronter les cultures et se dire qu’en Afrique on a des croyances et des idées qu’on pense acquérir tout seul, pourtant il y a d’autres peuples qui ont exactement les mêmes idées, les mêmes croyances et que à un moment donné ça s’est fécondé, ça a donné des choses absolument sublimes. D’où l’importance de commencer par « enracinement et ouverture », parce qu’on pense le mieux dans notre culture, et après on se rend compte que lorsqu’on ouvre un tout petit peu les horizons, on se rend compte qu’il y a des cultures qui font exactement les mêmes choses que nous et dont on ne parle pas souvent.
C’est fascinant votre récit, et nous au KFé nous désirons que les parcours individuels inspirent des personnes qui peuvent être dans l’attente de l’action. Et pour plus de précision comment avez-vous pu concilier vos multiples parcours ?
Déjà, je me suis organisé avant de quitter mon boulot. J’ai essayé d’avoir le maximum de bagages et d’informations possible, j’ai également mis de l’argent de côté, je me suis serré la ceinture pendant 2 ans en me disant si il faut manger des pâtes pour y arriver je le fait. Et quand je me suis rendu compte que c’était suffisant pour moi, je me suis dit que je vais arrêter mon boulot et je vais commencer à créer. En fait je suis passionnée par le dessin. Quand je sortais de mon dernier emploi, je dessinais beaucoup. En fait c’était une façon pour moi de sortir tout ce que j’avais vécu dans la journée. Et quand on est conseillère d’insertion, on écoute beaucoup les parcours des gens, on rencontre énormément de monde. En fait c’est des parcours que j’écoutais, et quand je rentrais le soir je les déversais sur du papier. Cela me permettait de sortir tout ce que j’entendais pendant la journée. Et ça m’a sauvé en quelques sorte, et du coup quand il a fallu crée, j’avais déjà de la matière, puisque j’avais déjà mes dessins qui étaient là. Je me suis dit comment est-ce que je vais transposer tout cela en quelque chose de vendable ou qui intéresse les gens en fait. Du coup j’ai pensé à l’art et la culture.
[On voit là une grosse décision, un risque énorme qui émanent certainement d’une grande réflexion. depuis combien de temps est ce que vous vous êtes jetée à l’eau ?
Ça fait 3 mois. Mais il y a une réflexion bien avant. Je me suis bien préparée. J’avais déjà mis quelques bases. C’est pour cela que je dis aux jeunes créateurs et à tous ceux qui veulent se lancer que c’est très important d’avoir une phase de préparation, d’écrire tout sur un papier, et se dire j’ai besoin de tel somme d’argent pour commencer.
Ici en France il y a généralement un dispositif d’accompagnement aux entrepreneurs. Est-ce que vous en avez déjà bénéficié ?
L’activité est toute récente, moi je travaille beaucoup toute seule. J’ai déjà pensé à en bénéficier, mais étant donné que je m’étais déjà préparé, et que je savais à peu près ce que je voulais faire, je n’avais pas envie d’entrer dans un circuit où on va me dire de faire une étude de marché. Donc je n’avais pas forcément un besoin immédiat de rentrer dans ce canevas-là. Mais c’est important pour des gens qui n’ont pas des projets ficelés, structurés d’aller se faire aider. Moi-même j’ai été conseillère emploi-formation donc je sais de quoi je parle.
Refuser de prendre cette voie, est-ce pour vous une manière de garder une certaine identité et ne pas être corrompue?
Non, ce n’est pas être corrompue, c’est du féminisme. J’ai envie d’être moi, je n’ai pas envie qu’on me fonde dans une masse. Je suis très rebelle, je suis très féministe, je suis très indépendante. Mais ce n’est pas parce qu’on est rebelle et indépendante qu’on ne peut pas aussi accepter la main tendue.
Vous avez démarré avec vos propres économies voilà 3 mois déjà, et il faut dire que vous organisiez le 14 novembre dernier un show-room à L’Atelier Montmartre de Paris. Est-ce que vous ne faites pas quand même attention d’être trop chargé pour un début?
Oui, il faut dire que moi je ne me suis pas tout de suite mise en société, je suis auto-entrepreneure pour l’instant, et je travaille avec des gens que je connais, des amis avec qui j’ai fait la FAC, et on réfléchit à tout moment, on fait du brainstorming, on reste en ligne, on se demande qu’est-ce qu’on achète, qu’est-ce qu’on n’achète pas, comment on dépense ? Je passe beaucoup de temps à faire ça. Et après coté finance c’est vrai qu’il y a des paroles qui sont difficiles et on se dit il faut serrer la ceinture.
Actuellement vous êtes dans l’action il y a peu. En terme de retour c’est quoi le bilan que vous pouvez faire au regard des attentes et des tendances sur le terrain ?
Le marché n’est pas à l’image de ce que je m’attendais mais de toute façon j’appréhendais quand même le fait que ce soit un peu compliqué. Et en plus c’est très spécifique ce que je fais. Je ne fais pas forcement tout ce que tout le monde fait. Moi je fais des choses qui sont parfois bizarres, parfois incongrues, parfois inattendues, et c’est normal que de temps en temps les gens boudent ou disent qu’est-ce que c’est ça !
Qu’avez-vous par exemple d’inattendu ou d’incompris ?
Récemment j’ai fait un « vagin wax » par exemple. Et pourquoi je l’ai fait ? Et bien c’est un acte militant qui vise à lutter contre l’excision des femmes qui est encore présent en Afrique mais aussi en France. Récemment je suis allée à Montreuil où j’ai rencontré une petite communauté de femmes qui m’ont raconté que ces pratiques existent encore. Je me suis nourrie de toutes ces rencontres et quand je suis rentrée chez moi je me suis dit je vais faire un vagin en wax pour dénoncer ces pratiques-là. Donc lorsque les gens voient le vagin ils me regardent et demandent si c’est vraiment ce qu’ils pensent. Moi de les rassurer. Après si ça peut participer à l’éveil des consciences. Il y a une chose qui est importante, moi je ne m’attends pas à vendre tout de suite. Je veux créer et si dans ce que je crée il y a des gens qui se retrouvent et qu’ils veulent acheter, bah tant mieux.
Puisqu’il s’agit de mode et vous êtes une entreprise, on suppose logiquement que vous avez une cible en vue ; pouvez-vous nous en dire davantage ?
Mon public cible c’est toutes les femmes qui ont entre 20 et 45 ans, qui sont féminines, qui sont féministes aussi. En fait le féministe ce n’est pas les femmes contre les hommes. C’est accepté moi ce que je suis en tant que femme, et en même temps j’ai un homme dans mon lit tous les soirs, ce n’est pas pour autant que je ne fais pas ce que je fais. Je me lève le matin, je travaille, je fais mes entretiens. Pour revenir à la question je préciserai 45 ans parce que dans le monde vestimentaire, il y a des vêtements pour tous les âges. Quand vous allez chez Zara ou chez H&M vous ne pouvez pas acheter n’importe quoi. Il y a tous les âges. Par rapport au type de vêtements que moi je fais, je pense qu’une personne qui a un peu plus de 50 ans ne peut pas forcement entrer dedans. Là mon public c’est des gens de 40 ans. Au-delà on commence à me dire ça fait trop jeune
Nous constatons en général que vous casser des codes. En parcourant vos catalogues, on remarque que vos modèles sont européens. Et pourquoi ce choix ?
C’est une volonté de faire le contraste, c’est un cheminement logique aussi par rapport à la dimension « enracinement et ouverture » dont je parlais tout à l’heure. Je m’enracine en créant des vêtements dits africains avec du Wax africain. Mais après le Wax ce n’est pas typiquement africain, car d’aucun parle souvent de vêtement africain ou pagne africain ou Wax africain. Donc en gros je voulais faire ce contraste-là. J’ai eu pleins de remarques à ce sujets, des gens qui m’appellent et disent tous les mannequines sont blanches ! Après moi je pense que si je voulais limiter WAX PANTHER à l’Afrique, j’aurai pris des filles comme moi. Il est urgent de montrer que l’Afrique doit s’ouvrir au monde, et aussi c’est important de montrer que l’Afrique est en train de changer
Comment compter vous impacter encore plus ?
Déjà là il faut que je commence à vendre d’abord, que les gens me connaissent plus. Parce que jusqu’à présent j’étais dans une phase de création. La communication ce n’était pas mon problème. Je me suis vraiment focalisée dans la création. Mais actuellement je commence à avoir quelques contacts, quelques interviews, et donc j’espère qu’un jour WAX PANTHER se fera connaitre d’avantage à travers le monde. Et WAX PANTHER ce n’est pas que les vêtements. Ce sont des accessoires de décoration et toute l’idéologie qu’il y a derrière. Donc moi je pense que les gens doivent s’approprier de l’idéologie de la marque d’abord et après acheter les vêtements, les accessoires de déco. Mais l’idéologie c’est importante.
La conception a été votre première arme de bataille. Après cela il y a l’impact, la commercialisation car le but c’est de toucher les clients. Sur cet aspect, avez-vous déjà élaborez des plans ou attendez-vous d’être accompagné ?
J’aimerai bien être accompagné par rapport à ça. Ce sera super. Par contre j’ai déjà un plan, j’ai quelques boutiques qui ont accepté de prendre mes articles pour les exposer. Je fais des show-rooms ou je montre aux gens ce que je fais. Je suis invitée dans des forums pour parler de WAX PANTHER. Après, toute aide en plus est la bienvenue, parce que ça ne suffit jamais, il faut tout le temps en parler, communiquer, faire la promotion.
A vous entendre parler vous avez déjà tout pensé, vous semblez être préparé à tous ces changements, ce qui est impressionnant. Actuellement qu’attendez-vous ?
J’attends que les gens achètent WAX PANTHER tout simplement (rires). Il faut faire beaucoup de yoga, il faut être zen dans la vie, il faut se lever le matin en étant déterminé. En se disant aujourd’hui je vais réussir, je vais le faire. Et après lorsqu’on a ces moyens-là, il ne reste plus qu’à agir. Moi je fais beaucoup de yoga, ça m’aide à me détendre (rires).
Quels sont vos rêves de manière précise dans le court terme ?
Comme j’ai dit plus haut c’est de développer WAX PANTHER. Dans 1 ans j’aimerai bien m’installer dans des bureaux, embaucher des gens pour qu’ils travaillent pour moi, parce que c’est important de faire travailler les gens, c’est important d’avoir une dignité, c’est important que les gens se lèvent le matin et gagnent un salaire, de payer ses factures, payer son loyer, manger. Là j’ai commencé il y a déjà 3 mois, et tout le monde m’appelle et dans cette période-là mieux vaut se recentrer sur soi et essayer d’avancer tranquillement. Parce que après, il y a des gens qui ont eu du succès très vite et après c’est fini. Moi ce n’est pas du tout ce qui m’intéresse, je veux que ça dure dans le long terme. Et pour que ça dure il faut avoir un mindset, une stratégie, une directive, et se dire faut pas aller n’importe où, n’importe comment. Donc pour moi sur un an l’objectif c’est d’avoir un bureau, avec des gens qui travaillent pour essayer de développer la marque un peu partout sur la France d’abord puis à l’étranger.
C’est quoi votre cible en terme de pouvoir d’achat ? Vos produits se situent à quel niveau ?
Moi je suis moyenne gamme. J’ai des accessoires de décoration qui commencent à partir de 50€. Apres c’est sûr que les vêtements c’est un peu plus cher, vu que je les fabrique dans des ateliers à Paris. Je ne fabrique rien en Afrique, en Turquie etc … Je veux avoir une visibilité sur ce qu’on produit parce que je fais un dessin. Et si je donne au Sénégal par exemple, ils vont l’adapter, le réinterpréter et peut être qu’à la fin ça ne sera pas ce que moi je voulais ou ce que j’imaginais. On en revient toujours à la notion de création, ou moi J’ai envie de créer et que ce que je crée soit fidèle à ce que j’avais imaginé. D’où l’importance de travailler en étroite relation avec des ateliers à Paris. Comme ça moi je peux me lever tous les matins et regarder ce qu’ils font. Si on a besoin de réajustement on réajuste. Ce qui fait que les vêtements coutent un peu plus chers. Car j’ai envie de vendre quelque chose qui sera véritablement apprécié des gens et qu’ils se retrouvent dans ce qu’ils achètent. En gros ce que je fais c’est de la haute couture africaine.
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